Les kiwis viennent de conclure une incroyable victoire pour défendre dans leurs eaux le plus vieux trophée sportif du monde. Quel incroyable match, régate, événement. Alors oui certains détracteurs diront que c’est une course de milliardaires, qu’il y a trop d’argent en jeu… Et ils ont peut-être raison mais en tant que fan, athlète, marin et technicien, c’est pour moi la plus incroyable et passionnante régate du monde. Il y a l’histoire, l’héritage culturel qui est incroyable, il y a l’intrigue et le bras de fer psychologique, il y a les secrets, l’espionnage, il y a le développement technologique sans limite, il y a le temps qui passe et des centaines de personnes qui travaillent nuit et jour dans chacune des équipes pour un seul objectif : être prêt le jour J avec le bateau le plus rapide de la flotte et l’équipage qui sache l’utiliser le mieux possible pour remporter le droit d’organiser la prochaine édition. 

Et finalement, tout se joue sur l’eau, cette fois-ci sur les machines volantes de 75 pieds qui filent à plus de 50 noeuds, à quelques mètres les uns des autres. Il y a eu deux bateaux absolument incroyables avec des équipages qui sont sincèrement exceptionnels. On a eu l’occasion de voir des courses de match-racing où le duel se joue à celui qui sera le plus solide, à celui qui prendra la bonne décision au bon dixième de seconde. Je pense qu’on ne se rend pas compte du niveau de ces gars-là. Il y a bien sur le côté physique avec des athlètes qui produisent des centaines de watts avec leurs bras, mais il y a le cerveau de ces types incroyables qui ont pu imaginer ces machines, les construire, les améliorer et finalement les utiliser. 

Il faut se souvenir qu’il y a quelques mois seulement le concept de monocoque à foil sans quille n’existait pas. Que le premier concept nous a tous intrigué et certains étaient dubitatifs. Et le résultat est juste époustouflant avec des vitesses jamais vues en course. Ils ont créé un immense Moth à foil, et ceux qui sont à bord de ces machines sont les meilleurs mothards du monde. 

J’ai eu l’immense privilège de côtoyer certains d’entre eux, pour qui j’ai un profonde admiration :

Pete Burling, le barreur du syndicat kiwi. Natif de Tauranga, la petite ville de l’iîe du Nord de la Nouvelle Zélande où j’ai habité un an en 2009, j’avais brièvement entendu parlé d’un gamin hors norme du club… C’était lui. Rencontré en 2015 lors du mondial de Moth en Australie, j’avais bu une gorgée pour la coupe du monde qu’il venait de remporter ce jour-là et discuté quelques brefs instants avec lui. 2,5 ans plus tard je le recroise au mondial de Moth en Italie. Il vient vers moi et me demande comment ça va… Il se souvenait de mon nom, de ce que je faisais, alors que le garçon avait remporté la coupe entre temps… J’ai pensé qu’il m’avait suivi sur les réseaux mais non, il a fait la même à mon ami David, architecte, qui était à mes côtés à ce moment-là. Un garçon d’une classe, d’une gentillesse et humilité rare. Un champion purement exceptionnel qui nous a donné un cours de voile à chaque fois que notre chemin a croisé le sien.

Glenn Ashby. Le grand maitre, l’homme le plus bienveillant, humble et talentueux que l’on puisse imaginer. Je me souviens d’un soir où il reconstruisait son Class A dans la nuit, posé sur deux barrières lors du championnat d’Europe en 2018, à la lumière des projecteurs. Comme je dormais dans mon camion sur le parking tout à côté, je lui avais donné un coup de main, comme souvent on le fait entre coureurs, on était 4 ou 5. Le matin même, me voyant galérer à monter ma grand voile avant d’aller sur l’eau (je débutais alors en Class A), il était venu et m’avait expliqué comment faire, avait hooké ma GV et était parti gagner toutes les manches sans rien attendre en retour. 

Mon fait d’arme est d’avoir été l’un des 2 seuls à le battre sur une manche lors de ce championnat… Mais il naviguait alors avec un safran en moins !! Depuis, j’ai une profonde admiration pour lui. Il avait d’ailleurs pris le temps de boire un café avec moi à Auckland lors de mon pit stop il y a 1,5 ans avant l’Australie. J’avais fais en sorte de m’arrêter le voir, de saisir ma chance. Il m’avait écouté attentivement, il avait posé des questions sur ce que j’avais aimé des bateaux que j’avais vu. J’ai toujours rêvé de travailler pour une équipe comme celle-ci, mais ils étaient déjà staffé. Peut-être une prochaine fois !?

Il y a le meilleur architecte naval du monde, le français Guillaume Verdier, qui transforme en or tout ce qu’il touche. Il a le concept, la philosophie, l’expertise et la capacité de penser différemment. Il rêve d’un concept et optimise la structure en même temps. Et c’est bien simple, il n’existe aucun autre architecte aujourd’hui avec un palmarès de cet acabit. Absolument tout ce qu’il touche gagne et c’est pour une raison. Il est juste, et de très loin selon moi, le meilleur. J’ai eu l’immense privilège de le rencontrer lors de mon année de césure à Tauranga, où je travaillais comme stagiaire ingénieur sur le JP54, le bateau de croisière de JP Dick qu’il avait dessiné. Difficile à joindre, le garçon était débordé tellement il était demandé de toutes parts. Il m’avait expliqué sa philosophie, ce qu’il voulait que je fasse, et m’avait laissé la liberté et la confiance de prendre certaines petites décisions. J’avais passé quelques jours avec lui et je n’oublierai jamais cet échange avec ce génie génial pour lequel je voue une profonde admiration. Son humilité, d’ailleurs, est à l’image de son talent, comme celui de tous ceux qui constitue cette incroyable équipe.

C’est bien grâce à cette équipe qui gagne tout depuis 1999 que j’ai souhaité apprendre l’anglais, et partir vivre deux années en Nouvelle Zélande 10 ans plus tard. J’ai voulu comprendre comment une si petite nation était aussi forte dans mon sport. Comment ils arrivaient à surpasser les meilleures équipes du monde avec moins de moyens. 

J’ai découvert une attitude d’outsider sans complexe qui fait ce qui est utile et important, qui va à l’essentiel, sans fioriture ni état d’âme. Qui bricole quand il faut bricoler, sans fanfaronner. La soufflerie de l’université en était un bel exemple : faite de tasseaux de bois, avec des entrées d’air shappées en polystyrène recouverts de bâches bleues de jardinage, on aurait pu crier à l’imposture si on ne voyait pas défiler les meilleures équipes de l’AC, de la Volvo, de l’IMOCA et des TP52. Il s’agissait de l’outil le plus efficace du monde. Il existait bien une autre soufflerie qui twistait le vent, mais c’était celle d’un constructeur automobile il me semble à Milan qui devait coûter 10 ou 50 fois plus cher. J’ai bien retenu ça et, depuis, je l’applique à mes projets consciencieusement. 

J’applique mon énergie là où les gains de performance sont les plus grands. On m’a parfois reproché que mes bateaux ne soient pas les plus beaux, les mieux finis de la flotte, mais c’est parce que je fais des noeuds de chaises là où ça suffit, et que je préfère polisher mes foils ou préparer une nouvelle bôme qui me fera gagner beaucoup de vitesse plutôt que de dépenser mes ressources en temps et argent qui me sont limités pour refaire une peinture qui ne me fera gagner probablement rien d’autre qu’un wahoo de mes concurrents. Et je suis à l’aise avec ça, sans complexe. Le jour où j’aurais un budget confortable, j’aurais une peinture impeccable mais là, j’ai juste la machine la plus rapide que je puisse avoir à cet instant et ça me convient bien.

Mais revenons à la Coupe. Ce qui me fascine c’est la capacité de ces gars-là de se réinventer à chaque instant, à progresser, à s’améliorer à chaque seconde. S’ils font une erreur, ils la corrigent et ne la refont plus jamais. Ils ont une difficulté, il développent une manière de la contourner. 

On a vu les italiens naviguer avec deux barreurs, un de chaque côté… C’est du jamais vu mais ça a marché, en améliorant leur communication ils ont pu bénéficier de l’avantage d’avoir deux cerveaux presque connectés et ça fonctionnait super bien, malgré des débuts parfois un peu difficiles. Les kiwis, eux, étaient 5 dans la boucle de communication tactique. Ils ont même réinventé leur manière de prendre des décisions, sur des bateaux où on ne peut pas voir ce qui se passe de l’autre côté car les voiles sont scellées au pont… Les kiwis avaient la possibilité d’aller plus vite mais bas, à l’inverse les italiens avaient un mode haut et lent au près. Une fois les kiwis libre du contrôle de leur adversaire, ils gagnaient, mais Luna Rossa a réussi à les garder derrière après avoir pris l’ascendant sur le départ sur plusieurs manches. Mais les kiwis se sont améliorés et ont a chaque fois réussi à se débarrasser du contrôle de leur adversaire pour les doubler sur les 5 dernières courses. Un exemple de tactique où il fallait choisir le bon mode du bateau en fonction des bascules de vent. J’ai vraiment adoré regarder chacune des courses le matin, ça fait tellement envie !!

En face des kiwis, il y avait une équipe incroyable également. Jimmy Spithill dit « le pitbul », 4e fois qu’il dispute la finale, ayant remporté ses deux premières. J’ai eu l’immense privilège de le rencontrer à bord du Trimaran MACIF de François Gabart. On avait fait une jolie sortie dans le Golfe de Gascogne, il faisait voler le maxi trimaran à la barre face à la houle Atlantique avec une facilité déconcertante. Et après un petit bain forcé à la tombée du jour où j’avais plongé pour enlever un bout de filet de pêche coincé sur le safran, on avait battu le record du bateau lors d’un bord d’anthologie sous les éclairs, barré par le pilote à 47 noeuds… Il nous avait pris pour des dingues à laisser les commandes de la machine à un pilote électronique, ce qu’il n’avait visiblement jamais fait. Je l’avais évidemment bombardé de questions sur la Coupe et son expérience, et c’était un souvenir marquant de ma vie de marin que d’être sur un tel bateau avec un gars comme lui, en plus de François… 

Son coach, « mon grand Gourou » Philippe Presti était d’ailleurs venu faire un petit tour à bord au petit matin. Lui aussi d’une accessibilité rare, avec ses expériences presque inégalées, sa gentillesse et son oeil technique hyper clair. On ressent la passion dans ses yeux quand il vous parle, lui qui est toujours là pour donner un coup de main, partager son expérience, organiser un entrainement pour lancer les jeunes du coin… Ou vous jouer un bon morceau de guitare électrique. J’ai eu l’immense privilège de le côtoyer un peu plus que les autres et sa bienveillance et son talent le place parmi les personnes que j’affectionne particulièrement dans mon sport. Ce n’est pas un hasard s’il dispose de la place de coach pour des équipes ayant eu autant de succès.

Checco Bruni, le second barreur de Luna Rossa, est lui le dernier champion d’Europe de Moth International. C’était mon voisin de parking à bateaux lors du dernier mondial à Perth et lui aussi est un type plein de talent et d’humilité. Je me souviens de l’avant dernière manche du Mondial où j’enroule en tête la première bouée, juste devant lui, j’étends mon avance à 18 secondes à la bouée sous le vent mais m’écroule sur le second près en voulant protéger le milieu du plan d’eau, alors qu’il fallait aller à fond à gauche, écrasé par la chaleur et sans plus d’énergie le dernier jour. Toujours là pour raconter ses histoires, donner des conseils, il fait, lui aussi, partie des personnes que j’affectionne particulièrement.

Ce qui en ressort, c’est que globalement, les meilleurs marins de la planète sont des personnes en or. Ils ont l’humilité des vrais champions, félicitent leurs opposants, sont classes dans la victoire comme dans la défaite, arrivent à avoir le recul qu’il faut sur leur pratique et leur sport, et ont une qualité d’exécution et une capacité de remise en question hors norme.

C’est bien pour cela que je me suis mis à naviguer en Moth après la Mini, car pour moi s’imprégner de cette culture anglo-saxonne de la performance, auprès de marins de ce type, est quelque chose d’extrêmement précieux, qui m’a énormément apporté. J’ai pu voir ce que nous français nous faisions bien, mais aussi ce que les autres cultures faisaient mieux que nous. J’ai pris mes notes et élevé mon niveau de jeu dans une classe ultra difficile. Parfois, j’arrive à battre quelques-uns de ces types là sur l’eau. Il en ressort une satisfaction extrême d’avoir appris et progressé, ce qui me semble être la chose la plus importante du monde.  

Prendre du plaisir, apprendre, progresser, se remettre en question, et partager, dans l’esprit du sport. Il me reste encore une quantité incroyable des montagnes à gravir pour avoir épuisé mes envies, et c’est bien cela qui m’excite autant dans mon sport. 

Merci gentlemen, au plaisir de vous retrouver sur l’eau prochainement, vous nous avez offert un spectacle absolument fantastique qui restera gravé dans les annales de notre sport. Merci, pour la passion, merci pour l’énergie. MERCI, vraiment !