« Pour Armel et moi, à bord des P’tits Doudous le passage du pot au noir a été fidèle à sa réputation : des souffles de quelques secondes venus de nulle part et allant nulle part, erratiques, désorganisés… Un peu comme la respiration d’un géant invisible. Des gros nuages qui montent comme des cathédrales haut vers le plafond atmosphérique (serait-ce lui, le géant ?), d’autres petits noirs qui se créent et meurent en quelques minutes seulement, parfois en déchargeant leur eau mais pour nous en tout cas, rarement en nous apportant un vent bien utilisable.

On s’est battu avec chaque souffle, on a même viré pour s’éloigner d’un monstre de l’air qui avait aspiré tous les souffles alentour. Du temps on en a perdu à cette loterie du souffle, et c’est avec une grande frustration que nous avons vu le départ de nos amis Leyton, qui a l’entrée étaient 2 milles sous notre vent et qui se retrouvent 40 milles devant. On est passé chacun d’un côté du même nuage, eux sont partis avec le vent et nous, on est resté scotché la… Je crois aussi qu’ils utilisent un code zéro, cette voile qui nous aura manqué à trois reprises pour sortir le premier des zones de transitions. Mais c’est le jeu de la régate et même si on déteste laisser filer un concurrent, la route est encore longue. Il y aura un second pot au noir à passer au retour vers l’arc antillais et encore beaucoup de milles à parcourir avant la Martinique. Lâcher le morceau maintenant n’est pas inscrit à l’ordre du jour. 

Dans le pot, on a croisé un cargo et des milliers de poissons volants. En permanence zoomant devant nos étraves, sautant parfois à bord, ou se cognant contre le flotteur au vent, en y laissant quelques écailles au passage. Il semblerait qu’ils soient chassés par-dessous, les pauvres ! Parfois un petit train de houle ajoutait une faible composante sinusoïdale à notre vitesse mais globalement on a découvert le plaisir de pouvoir sortir son nez hors de la niche sans se faire rincer intégralement, un bateau sec, ça, c’était bien (ce n’est plus le cas…) ! Le « pinacle » du confort fut à l’approche d’un gros nuage déchargeant son eau… Dans la douce chaleur de la nuit, sous la lune et les trombes d’eaux, une douche !!! Me savonner le corps après 10 jours de toilette à la lingette, sentir bon, tout cela est une sensation tellement agréable ! La fin du quart en serviette, comme aux bains thermaux aussi a été une expérience fort agréable, avec les étoiles comme guide et la lune comme lanterne.

Le bateau commence à ressembler à un souk, avec nos affaires qui sèchent et pendent partout, le matos qui passe de l’avant a l’arrière en fonction des conditions de vent et de vitesse… Ce qui ne change pas trop en revanche c’est la ritournelle des repas : la pioche dans le sac à lyophilisés, la ration d’eau dans le jetboil, la minute de mélange dans notre gamelle, l’attente pour que la ré-hydratation se fasse… Avec Armel on s’habitue au temps long, – chose inconnue pour ma part à terre – et on trouve le temps de se raconter nos histoires, qui tournent avouons le pas mal autour de nos ex… bateaux ! Et de « que je te raconte comment j’ai gagné la Mini », et de « comment il fonctionnait mon IMOCA » et de notre vision du bateau idéal et de ce qu’on va faire à ce bateau pour l’améliorer et le rendre encore plus performant et confortable pour la suite. 

On a sorti notre petit gennaker pour la première fois depuis la micro sortie pour l’essayer au Havre. Découvrir une voile la nuit, très différente des autres qui plus est, n’est pas des plus confortable. On tâtonne pour lui trouver des bons réglages, des angles rapides et même si on sait faire, on aurait aimé pouvoir faire ça avant le départ, mais comme vous le savez cela n’a pas été possible. Alors on prend ce qu’on a, on fait avec, on regarde devant et on avance. Pas la peine de se plaindre, on joue à un jeu d’échecs sur l’océan avec des machines magiques et une bande de potes, il serait malvenu de se plaindre. Et comme toujours, on est là pour apprendre, progresser. On a déjà tellement progressé sur l’utilisation de notre bateau ! 

J’imagine son remplaçant, mon futur bateau neuf que je rêve de construire. Il y a plein de choses à faire progresser, et même ce bateau peut lui aussi faire un gros bond en avant, avec un peu de temps et budget. Ce temps long permet aussi de regarder passer le flotteur dans la mer, être a l’écoute de ses sensations, analyser ce qui ralentit le bateau, son comportement, extrapoler les améliorations. Moi j’adore ça, c’est mon truc, et je vais revenir avec un cahier plein d’idées à mettre en place, pour progresser toujours et élever notre niveau de jeu. Mais ne perdons pas l’objectif de vue, il s’agit d’abord de rattraper nos concurrents qui ont pris un peu d’avance. On a un bon positionnement pour rattraper de notre retard, donc on est confiant. Le moral est stable à bord, le ciel s’est à nouveau chargé de nuages d’alizé, ces petits cumulus penchés, plus de cathédrale à l’horizon, le vent se renforce progressivement en refusant. Tout va bien à bord des P’tits Doudous ! La coque centrale sort de l’eau de temps en temps et on accroche les 20 nœuds par intermittence… À vous la terre, kenavo ! »

Pour retrouver l’article sur Voiles et Voiliers : cliquez ici